De passage à Paris, le député de la circonscription de Béoumi, ministre ivoirien de la communication et des médias, porte-parole du gouvernement, nous a accordé une interview exclusive. Guillaume Soro, Charles Blé Goudé, l’élection présidentielle, le climat sociopolitique en Côte d’Ivoire, relations Franco-ivoiriennes, ses relations avec ses mandants, Sidi Tiémoko Touré n’élude aucune question.
Propos recueillis par Cyr Makosso et Prince Bafouolo
Hémicycles d’Afrique : A un mois de l’élection présidentielle, prévue pour le 31 octobre 2020 en Côte d’Ivoire, vous êtes à Paris pour rencontrer des journalistes. Êtes-vous en campagne pour votre favori le président Alassane Dramane Ouattara ?
Sidi Tiémoko Touré : Nous ne sommes pas en campagne, puisque celle-ci démarre le 15 Octobre prochain. Nous ne sommes même pas en pré campagne. C’est une démarche d’information à l’attention de tous les différents médias pour leur donner notre part de vérité par rapport à ce qui se passe en Côte d’Ivoire.
HA : Qu’est ce qui se passe en Côte d’Ivoire
STT : Nous sommes dans une période importante puisque la Côte d’Ivoire va connaître bientôt la fin d’un cycle électoral qui a démarré en 2010 avec l’élection du président Alassane Ouattara et le démarrage d’un nouveau cycle dans le cadre de la 3e République.Ceci fait l’objet de beaucoup de bruit. Il est bon de donner notre point de vue à cet effet.
HA : Il y a effectivement des tensions en Côte d’Ivoire et certains accusent Alassane Ouattara d’en être à l’origine. Je vais par exemple reprendre les propos de Guillaume Soro qui a entre autres déclaré « par son entêtement à vouloir briguer un 3e mandat, Alassane Ouattara risque de brûler la Côte d’Ivoire ».
STT : La période pré-électorale est souvent synonyme d’animation du débat politique. Globalement ceci marque la dynamique d’exercice démocratique dans notre pays. C’est ainsi qu’il faut apprécier cette actualité nationale. Nous avons effectivement entendu monsieur Guillaume Soro faire des annonces assez prétentieuses. Ceci dit, il n’a ni la capacité ni la qualité de bloquer la réalisation de ces élections. Il n’est plus président d’Institution. C’est un citoyen ordinaire comme tout autre. A ce titre, il peut légitimement poser un recours devant la justice relativement à ses démêlés judiciaires. Mais nous remarquons qu’il a préféré plutôt se mettre dans une posture d’exil volontaire de luxe et s’attaquer au régime à travers les réseaux sociaux pour essayer de déstabiliser la Côte-d’Ivoire.
HA : Vous dites exil volontaire, pourtant son avion a été interdit de se poser à Abidjan le 23 décembre 2019
STT : Son avion n’a jamais été interdit de se poser. C’est lui-même qui a détourné son avion vers une autre destination, sans doute, sentant son arrestation. Depuis lors, il s’est mis dans une posture volontaire fuyant de ce fait la justice de son pays qui lui permet de prouver son innocence. Pour votre information, selon les éléments présentés par le procureur de la République, il y’a des enregistrements audio qui l’incriminent. Dans ces audio on l’entend planifier une déstabilisation de la Côte d’Ivoire. Sa voix est reconnue et il l’a admis. Autant de choses pour lesquelles il doit venir répondre devant la justice ivoirienne.
HA : Les juges de la Cour Africaine des Droits de l’Homme ont tranché en sa faveur le 15 septembre et demande qu’il soit rétabli dans ses droits civiques. Comment vous réagissez à cette décision ?
STT : La Côte d’ivoire est un état souverain. Ses institutions fonctionnent correctement. D’ailleurs, dans une déclaration, la Côte d’Ivoire tout en marquant le fait qu’elle est partie prenante des instruments de protection et de promotions de droit de l’homme de la Cour africaine des droits de l’homme à tout de même retiré le privilège à cette institution de s’immiscer dans les affaires de l’État de Côte d’Ivoire.
HA : En Côte d’Ivoire quelques voix se lèvent pour dire que la France laisse trop faire Guillaume Soro. Êtes-vous de cet avis ?
STT : Guillaume Soro est un citoyen ivoirien qui a la latitude de s’exprimer comme il l’entend. Mais la posture belligérante dans laquelle il se trouve dans un pays frère comme la France peut porter à confusion. Aucun pays ne peut accepter qu’un citoyen de son pays tienne des propos à la limite de l’appel à la déstabilisation.
HA : Le président Ouattara a récemment rencontré Emmanuel Macron, le président français. La question a-t-elle été évoquée entre les deux chefs d’État ?
Je ne saurai le dire mais je pense que nous avons tous été choqués par ces déclarations. Il faut le relever, Guillaume Soro ce n’est pas De Gaulle, donc il se trompe d’époque. Il faut le laisser dans sa bulle, le temps qu’il redescende sur terre.
HA : Quels sont les questions que les deux chefs d’État ont abordées ?
Je n’étais pas à la table des discussions. Le président Ouattara a fait un compte rendu de cette rencontre. Ce sont des échanges francs, fraternels qui consolident l’état des relations entre la France et la Côte d’Ivoire. Ils ont fait un tour d’horizon de l’actualité africaine et nationale
Alassane Ouattara a t-il eu le soutien d’Emmanuel Macron ?
Nos deux pays ont des relations fraternité et de respect. Pas d’ingérence. La Côte d’Ivoire n’a pas besoin d’avoir le soutien de la France pour pouvoir prendre ses décisions souveraines et vice versa. La question électorale relève de la souveraineté de la Côte d’Ivoire.
HA : Le président Macron aurait demandé le report de l’élection présidentiel selon certaines sources
STT : Pour tout vous dire, dans le cadre de ce partenariat bilatéral, la France a décidé de renforcer son soutien au processus électoral d’un point de vue financier.
HA : Lorsqu’on a le parcours d’un Alassane Ouattara, qu’on a 78 ans, qu’on a déclaré publiquement que l’on devrait transmettre le pouvoir à une nouvelle génération est-ce que ce n’est pas gênant de faire volte-face ?
STT : En quoi est-ce que ce serait gênant si la Constitution le lui permet et s’il n’a pas été pris à défaut dans sa volonté réelle de passer le témoin à une nouvelle génération ? Il est allé au bout de la démarche en désignant Amadou Gon Coulibaly, qui malheureusement est décédé. Un parti politique se crée pour conquérir et conserver le pouvoir. C’est dans cette optique que les cadres du parti ont décidé de mettre en avant notre cheval le plus apte à nous garantir cette victoire au premier tour.
HA : Au RHDP, il n’y a vraiment aucun cadre qui pourrait incarner cet espoir ?
STT : Justement, ce sont toutes ces personnalités qui ont la possibilité de prendre le relai qui ont unanimement décidé de positionner Alassane Ouattara. Contre sa volonté, il a du l’accepter pour garantir à son parti cette victoire au premier tour. Ne dénuons pas au RHDP de faire le choix de coopter celui qui lui garantit la victoire aux prochaines élections.
HA : Est-ce que vous comprenez la position d’une partie de l’opinion africaine qui n’a pas compris ce revirement et doute désormais de la parole d’Alassane Ouattara ?
STT : Une partie, oui. Le président Ouattara la lui-même reconnu qu’il va beaucoup perdre, puisque l’essentiel de sa posture internationale a été basée sur son image. Il sait que celle-ci prendrait un coup. Mais la paix, la stabilité dans ce pays méritaient qu’il revoie sa position. Et la Constitution le lui autorise.
HA : Charles Blé Goudé a récemment déclaré sur la web Tv Ziana tv que le président Ouattara ferait mieux de repousser cette élection et d’organiser une sorte de dialogue pour apaiser les esprits
STT : Ce n’est pas le président Ouattara qui fixe la date des élections. Le gouvernement a mis en place les conditions pour une tenue paisible des élections. La commission électorale s’organise pour que les élections se déroulent en toute transparence. L’élection aura bien lieu le 31 Octobre et chacun doit entrer ses ambitions dans le cadre de ce délai constitutionnel.
HA : Selon l’opposition, depuis l’annonce de la candidature d’Alassane Ouattara, il y’a près de 20 morts. Humainement comment vous vivez cela ?
STT : Moins de Quinze morts, mais un mort, c’est déjà un mort de trop. Toutefois, nous savons qu’il s’agit d’une manipulation. Ce d’autant plus que ces différents troubles se déroulent dans les endroits localisés. Vu de l’extérieur on a l’impression que c’est toute la Côte d’Ivoire qui est entrain de brûler. Pourtant, quand on regarde de plus près on se rend compte que se sont les fiefs politiques des différents leaders politiques qui ont été plus ou moins enflammés. Cela ne veut pas dire qu’il y’a une flambée de la situation au niveau national.
HA : L’Union Européenne a rendu publique une déclaration le 18 septembre dernier dans laquelle elle relève quelques inquiétudes. Quels commentaires en faites-vous ?
STT : Je voulais quand même rappeler que L’Union Européenne a marqué son désir d’accompagner le peuple ivoirien dans la réalisation de cette élection dans le calme et la stabilité. Concernant le respect des droits de l’homme et autres points, il n’y a rien de nouveau sauf ramener les uns et les autres à l’essentiel. Et l’essentiel aujourd’hui c’est qu’il y’a quatre candidatures qui ont été confirmés par le Conseil constitutionnel. Ces derniers doivent se préparer à présenter leurs projets aux ivoiriens.
HA : Laurent Gbagbo a récemment fait une demande de passeport qui ne lui a pas été délivré. Comment l’expliquez-vous ?
STT : Comme dans tout pays, l’obtention d’un passeport fait l’objet d’une procédure. Elle obéit à la production d’un certain nombre de documents. Si vous ne produisez pas l’ensemble des documents, vous ne pouvez pas l’obtenir.
HA : Ces conseils affirment pourtant avoir fourni les documents nécessaires…
STT : Je ne souhaite pas entrer dans cette polémique. Le dossier a été soumis à notre chancellerie à Bruxelles, puis transmis à Abidjan. Il a été retourné pour complément d’informations. Face à un dossier qui n’est pas complet que voulez-vous que l’Etat Ivoirien fasse ?
HA : On va terminer avec des questions liées à votre statut d’élu. Pour commencer comment se porte le parlement ivoirien aujourd’hui ?
STT : À ce jour le dispositif parlementaire est constitué de deux chambres, l’Assemblée nationale et le Sénat. C’est l’un des éléments qui nous situe vraiment dans la troisième République. A l’Assemblée nationale le RHDP est à 70-80% majoritaire. L’opposition constitue la minorité parlementaire. Mais tout le monde contribue au débat démocratique.
HA : Votre collègues Lobognon croupit en prison depuis neuf mois, avec d’autres d’ailleurs. Sa détention est-elle justifiée
STT : Lobognon est un ami à moi. Nous-nous connaissons très bien. Malheureusement il s’est engagé dans une aventure qui n’est pas à son bénéfice. Quand on est député on est couvert par l’immunité parlementaire sauf en cas de flagrant délit. Il se trouve qu’en dehors de la charge du mandat qui lui a été attribuée, Monsieur Lobognon a été pris en fragrant délit. Nos textes sont clairs là-dessus. Monsieur Lobognon a été retrouvé en posture de déstabilisation. C’est ce qui justifie son arrestation comme certains nombre de ses camarades.
HA : On reproche aux députés de repartir rarement rencontrer leur base, sauf pour distribuer des cadeaux. Vous l’entendez bien ? Et quels sont vos rapports avec vos mandants ?
STT : L’appréciation du député en Europe et en Afrique est différente. Le député est le représentant du peuple c’est vrai, mais il n’a pas forcement le rôle de moteur de développement au niveau local. Mais dans nos pays africains comme vous le savez les populations quand elles vous donnent un mandat elles ne cherchent pas à savoir s’il s’agit d’un mandat de développement. Comme c’est le cas pour le maire par exemple. Ils veulent avoir de l’eau et des routes. La semaine dernière nous avons eu le privilège avec l’autorisation du président de la République de lancer les travaux de bitumage de la capitale départementale dont je suis l’élu. Cela a été un soulagement, puisqu’ils l’attendaient depuis près de 40 ans. Quant à l’électrification et l’accès à l’eau ce sont autant de projets pour lesquels nous nous rassurons que nos populations en bénéficient. Je suis en permanence en contact avec mes mandants. Je repars les voir en général trois fois le mois.
HA : Quels sont les projets ou propositions de loi que vous avez déjà proposés ?
STT : J’ai des projets qui ont été adoptés en tant que ministre. Je pourrais citer le projet de loi portant régime juridique de la communication publicitaire. Dans mon précédent portefeuille à la Jeunesse j’ai eu l’opportunité de faire adopter la loi sur le service civique national en Côte d’Ivoire en tant que ministre de la jeunesse et de la promotion civique.
HA : Sont-elles appliquées aujourd’hui ? Y’a t-il un impact réelle au sein de la société ?
e prendrais exemple sur la loi sur le service civique que j’ai fait adopter. Cette loi est appliquée dans la mesure où on a mieux structuré l’accompagnement dans le cadre du service civique des jeunes. Des centres ont été créés sous l’égide de cette loi pour pouvoir permettre la prise en charge des populations vulnérables et leur donner une seconde chance de retrouver une place dans la société. Mais ce sont des dispositifs qui prennent du temps pour se mettre en place.